À qui sait attendre
À qui sait attendre
Compte rendu de la séance de livre échange du 30 octobre 2025
A qui sait attendre - Michaël Connelly
Il s’agit d’un roman policier. Des participants n’apprécient pas du tout ce genre et n’ont donc pas aimé le livre, parfois ils n’ont même pas pu le lire. Les scènes de mort, de tuerie, de sauvagerie peuvent répugner à bon nombre de personnes. Même s’il s’agit d’histoires entièrement fictives, imaginaires, il reste difficile d’oublier que l’on parle d’êtres humains.
Les lectrices qui l’ont lu ont été un peu décontenancées au départ. Les premiers chapitres mettent les personnages et l’organisation en place et on peut raisonnablement se demander où tout cela va conduire. Au fil des pages le suspense crée une attirance et le lecteur veut savoir la fin. Les pages se tournent et le temps passe sans que l’on s’en aperçoive.
Ce roman présente une autre particularité qui peut dérouter le lecteur dans les premiers chapitres : il n’y a pas une histoire, une enquête, mais plusieurs qui se chevauchent et parfois s’interpénètrent. Le lecteur doit donc faire l’effort de distinguer chaque épisode, chaque piste dans son antériorité et ses implications. De l’aveu d’une lectrice : Quand on finit par comprendre c’est intéressant.
Autre particularité de ce roman (il a beaucoup de particularités) les enquêtes concernent des dossiers anciens qui n’ont jamais été résolus (les « Cold Cases »). Par conséquent les scènes sont décrites et racontées avec le recul du temps. Le lecteur doit activer son imagination, d’autant que quelques paragraphes plus tard la narration est revenue au temps présent.
Ces alternances d’histoires et de temps peuvent rebuter certains lecteurs ou en attirer d’autres dans la nasse du suspense.
Les premières questions qui nous viennent à l’esprit concernent la vraisemblance de ces histoires. Existe-t-il un service de police dédié aux cas non élucidés ? Une recherche rapide sur Internet nous apprend que le Pôle National des Crimes Sériels ou Non Elucidés a été créé en 2022. Il existe donc bel et bien un service de police dédié à ces cas, et de création très récente.
Le roman, aussi bien que la série télé « Cold Case », met en avant l’utilisation de moyens d’investigation très sophistiqués, notamment les tests génétiques et les recherches informatisées. Nous nous demandons ce qu’il en est dans la réalité. A ce sujet, le site Internet souligne la très grande technicité des personnels du PNCSNE sans préciser davantage les compétences particulières de ces personnes. Des participantes observent que le vol récent au Louvre a mis en évidence l’importance des moyens technologiques dans la poursuite des coupables. Le récit proposé repose donc sur une certaine réalité.
S’agissant d’un auteur américain et d’une histoire qui se déroule entièrement à Los Angeles, nous nous demandons si les méthodes de la police américaine et celles de la police française sont identiques, comparables, ou non. Les informations contenues sur le site Internet précité donnent à penser qu’effectivement dans ces deux pays les enquêtes sur ces faits anciens exigent la mise en œuvre de méthodes et de moyens très innovants. Nous notons cependant une différence importante avec le récit. Il nous semble impossible qu’un service officiel travaillant sur des dossiers aussi sensibles puisse employer des personnels précaires, presque des bénévoles. Cela ne nous semble pas correspondre aux critères de l’administration française. Nous nous interrogeons également sur la vraisemblance de cette situation aux Etats-Unis.
Nos échanges dévient ensuite vers l’organisation des services de police. Le récit relate à la fois le poids très lourd de la hiérarchie et la rivalité entre les personnes et entre les services, qui pourrait aller jusqu’à ne pas faciliter la découverte de la vérité. Malheureusement l’actualité de ces dernières années a bien montré que ces rivalités n’étaient pas que des créations de l’imagination débordante des romanciers. L’auteur utilise dans son texte des éléments d’actualité qui donnent de la vraisemblance à l’histoire. En revanche, il ne nous semble pas que la politique ait en France autant d’influence sur la justice qu’elle en a aux Etats-Unis tel que décrit dans le roman. Nous sommes surpris que les rivalités politiques puissent entraver la recherche de la vérité et de la justice. Des lectrices font observer que certaines affaires concernant des personnalités politiques françaises pourraient avoir été influencées. Nous n’en connaissons toutefois que ce que les médias en ont dit.
Dans l’enchevêtrement des histoires, une petite partie est consacrée à la préparation d’un attentat de masse. Ce type de tuerie est malheureusement assez fréquent ces dernières années aux Etats-Unis. Ainsi le livre colle à une certaine actualité locale. Ces actes sont la traduction du malaise de la société américaine, malaise qui se traduit à la fois par des actes de violences, la montée de la xénophobie et des choix politiques extrêmes. Nous observons que ce malaise et ses conséquences ne sont pas propres aux Etats-Unis et menacent dangereusement la France.
En ce qui concerne l’affaire du Dahlia Noir, qui est un meurtre effectivement survenu le 15 janvier 1947 aux Etats-Unis et non résolu à ce jour, la plupart des lectrices se posent la question de son intérêt dans le roman. Il est vrai que c’est une affaire sensationnelle pour laquelle plus de 50 personnes se sont dénoncées sans pouvoir être inculpées, qui a servi de scenario à des films et de sujet à de nombreux livres. Peut-être un fait comparable à l’affaire Seznec chez nous. Néanmoins, en dehors du fait qu’elle permet l’introduction parmi les personnages principaux d’une nouvelle héroïne Maddie, cette insertion est davantage de nature à égarer le lecteur qu’à apporter un grand intérêt au récit. Plusieurs lectrices considèrent que les autres enquêtes auraient suffi à remplir le roman. Cela évoque aussi à certains le livre de Ivan Jablonka Laëtitia.
Dans sa globalité, le livre appelle de notre part les remarques suivantes. Il y a un côté cliché avec l’enquêteur qui fonctionne dans la légalité et les indices qui apparaissent au fur et à mesure. Il y a aussi un côté plus inhabituel avec des enquêtrices qui œuvrent constamment à la limite de la légalité, parfois même dans l’illégalité. C’est assez paradoxal. L’auteur semble ainsi mettre en opposition hommes et femmes. Nous observons que les personnages centraux sont exclusivement féminins et qu’au cours de leurs travaux ces femmes se heurtent perpétuellement aux hommes. Il y aurait une sorte de féminisme dans le roman. Et
c’est aussi un texte sur l’équipe, la solidarité, l’amitié dans la mesure où le groupe qui enquête se montre très solidaire en toutes circonstances. Chacun fait preuve d’un dévouement sans bornes.
Une recherche rapide sur l’auteur, Michaël Connelly, que la plupart d’entre nous découvraient, montre que le héros habituel des romans est le procureur Harry Bosch qui, ici, participe modestement à l’enquête. Tout se passe comme si l’auteur faisait doucement disparaître son héros et le remplaçait par l’héroïne Renée Ballard tout en introduisant un troisième personnage qui est Maddie la fille de Harry. On a à la fois des liens familiaux et la montée en puissance des femmes. Nous nous interrogeons sur la volonté de l’auteur et la signification profonde de ces évolutions.
La fin de l’histoire nous paraît un peu alambiquée, un peu rapide, comme une conclusion à la va-vite. Ce n’est pas la première fois que nous émettons cette remarque sur la fin d’un roman. Par ailleurs, l’héroïne cherche aussi à renouer le contact avec sa mère. Ce thème revient régulièrement et brièvement dans le texte, un peu comme un filigrane. Il reste que, n’ayant pas de points communs avec les autres intrigues, le lecteur peine à trouver l’intérêt de ces incises.
En résumé voilà un polar qui colle à l’actualité et qui introduit des héroïnes ce qui n’est pas si courant. Il dépeint certains traits de la police et de la justice américaine et met en scène la violence profonde qui agite la société. Il décrit bien l’Amérique, avec ses fantômes et la menace de l’extrémisme. Telle une pelote qu’on déroule, il nous emmène du vol au complot terroriste. C’est très bien mené avec desrebondissements intéressants même s’il use d’artifices pour finir le roman.
Avis et commentaires