Prisonniers du paradis
Prisonniers du paradis
Compte rendu de la séance de livre échange du 3 juillet 2025
Prisonniers du paradis - Arto Paasilinna
La première réflexion qui nous vient à l'esprit est une comparaison : ce roman fait penser à l'histoire de Robinson Crusoé de Daniel Defoë.
Il y a cependant une différence importante : Robinson était seul alors que dans ce récit les personnages naufragés sont nombreux. Nous faisons ensuite le décompte. Les naufragés sont au nombre de quarante-huit et on compte deux décès. La répartition est de 26 femmes et 22 hommes. Et la répartition par nationalité obéit à une structure stricte : les ouvriers forestiers sont finlandais, les infirmières suédoises, les médecins norvégiens et les membres de l'équipage anglais. En revanche, ils ont tous à peu près le même âge ; ils sont tous dans la période de vie active.
Cet inventaire étant réalisé, nous considérons que ce livre est amusant et l'écriture fluide. C'est un très bon moment de lecture, un livre pour les vacances. Nous reprenons le cours de cette histoire. Toute la première partie est consacrée à l'accident puis à la découverte de l'île et au regroupement des naufragés. Le milieu naturel n'est pas très hostile ce qui permet d'avoir un récit fluide. De plus, les naufragés disposent de matériel retrouvé dans la carcasse de l'avion accidenté. Nous constatons que la survie dans des conditions d'isolement importantes est fortement conditionnée par l'existence d'un minimum d'outils. Malgré cela, les naufragés doivent s'adapter au milieu et aux conditions locales et trouver des moyens pour le feu, les aliments, la cuisson des aliments et pour l'eau. Les débuts de la survie sont difficiles.
L'hisoire prend une tournure différente et un autre intérêt quand les protagonistes, s'étant assurés de leur survie au moins à court terme, décident de s'organiser. C'est tout d'abord la cohésion du groupe qui est un enjeu. Quelques péripéties soulignent combien il est peu évident, même en conditions précaires, de fédérer, d'unir, de souder l'unité d'un groupe. C'est finalement grâce à la distillation puis à l'instauration d'un endroit de convivialité, un bar, que le groupe trouvera sa cohésion, sa cohérence. Cela nous évoque l'importance de la machine à café pour le management d'une équipe.
Une fois le groupe suffisamment soudé, il est nécessaire de répartir les tâches et les responsabilités. L'auteur s'amuse à décrire les enjeux de pouvoir entre les personnes, entre les groupes, la prise en main par certaines personnes, plus charismatiques, plus influentes. Finalement, il faudra 22 personnes pour occuper les 22 fonctions utiles au groupe. Nous considérons très intéressante cette partie qui, sans le dire, compare la structure du groupe à nos organisations sociales. On y retrouve les principaux éléments. Et, évidemment, on voit émerger les principaux problèmes inhérents à tout groupe, à toute société. Il nous semble que l'auteur s'amuse à décrire de façon imagée les soubressauts, les hésitations, les réussites de la société en général, peut-être plus particulièrement de la société finlandaise qu'il connaît bien.
A ce stade, un participant cite le roman de Olivier Norek : Les guerriers de l'hiver qui raconte l'histoire des soldats filandais luttant contre l'armée russe lors de la guerre d'Hiver déclenchée en 1939 par la Russie. Les romans de l'auteur ukrainien Andreï Khourkov sont également mentionnés, en référence aux conflits permanents avec la Russie.
La discussion se recentre sur l'histoire et nous abordons la question posée à la fin du roman : faut-il accepter de rentrer chez soi ou bien rester isolés sur l'île où finalement il fait bon vivre ? Depuis nos fauteuils la réponse semble évidente et pourtant dans le récit le choix se joue à un fil. Revenir à une situation antérieure alors même que les individus ont retrouvé un équilibre après beaucoup d'efforts, n'est pas une décision évidente. Des participants soulèvent le problème inverse, à savoir celui des familles qui sont dans l'attente et impatientes de revoir les leurs. Cette partie dépeint les réflexions, états d'âme, hésitations des individus placés devant ces dilemmes.
Nous rappelons néanmoins que les moments comiques sont les plus nombreux dans ce récit. Et le déroulement de l'action est cohérent, logique, dans la temporalité, ce qui en fait un livre très plaisant à lire.
Des participants tentent une comparaison avec le survivalisme. Mais ce dernier mouvement diffère beaucoup du roman en ce qu'il vise à se préparer à affronter une catastrophe naturelle ou accidentelle. Les adeptes disposent donc au départ d'un accès à de nombreuses ressources à partir desquelles ils sélectionnent celles qui leur permettront de survivre en conditions très hostiles. Les naufragés pour survivre font appel à leurs connaissances et au peu de matériel qu'ils peuvent récupérer dans l'épave. Les conditions sont radicalement différentes.
Ce roman rappelle bien davantage, outre Robinson Crusoé, L'île mystérieuse de Jules Verne ou encore la catastrophe aérienne survenue dans la Cordillère des Andes en 1972 où les survivants ont été obligés de manger les cadavres de leurs compagnons morts pour résister pendant près de 2 mois à plus de 3000 m d'altitude. Nous évoquons aussi les quatre enfants retrouvés dans la forêt équatoriale en 2023 après le crash de leur avion ou encore l'aventure de ces deux français qui ont tenté de traverser une partie de la forêt en Guyane et qui se sont égarés. Ce roman rappelle aussi le film Seul au monde avec Tom Hanks. Des participants mentionnent aussi Selfie le film à sketchs et particulièrement le troisième où il est question de naufrage. La série Transperceneige est également citée en ce qu'elle décrit des conditions de survie dans un univers hostile et les relations entre les personnages soumis à cette contrainte de survie. D'autres considèrent que cette série porte plutôt un regard sur la lutte des classes, ce qui évoque Parasite pour d'autres participants. Le cas particulier de Hiro Onoda, ce soldat japonais qui a continué la guerre, seul, pendant trente ans, est également cité.
Une participante cite Les Robinsonnades, qui deviennent un genre littéraire à part entière. Le site Babelio fait figurer les titres suivants parmi les Robinsonnades : Vendredi ou la vie sauvage de Michel Tournier, Sa majesté des mouches de William Golding, Le royaume de Kensuké de Michael Morpurgo, L'île de Robert Merle, L'île mystérieuse de Jules Verne, La tempête de William Shakespeare. Un participant mentionne Le fugitif de la Saint Jean de Christian Bouchardy, une autre Le mur invisible de Marlen Haushofer, une autre encore Comme des bêtes de Violaine Bérot. Les récits dont la ligne directrice est la résistance, la résilience, l'adaptation à des conditions difficiles sont pléthore et la plupart nous ont beaucoup plu.
Certains participants constatent que le roman est écrit au passé simple ce qui n'est pas si fréquent et apporte une atmosphère particulière au récit. S'ouvre alors une discussion sur l'écriture au présent ou au passé (imparfait et passé simple) avec des adeptes du présent et des défenseurs des textes écrits au passé. Nous sommes tous d'accord pour reconnaître que le plus difficile reste de s'assurer de la concordance des temps tout au long de l'écriture.
Revenant à l'histoire des naufragés de Arto Paasilinna, nous discutons autour des mentalités d'Europe du Nord, de la discussion pour savoir quelle langue serait la langue officielle du groupe. La langue est un sujet sensible. Les personnages refont en quelque sorte le monde initial, celui qu'ils ont quitté et dans lequel la question linguistique et sa dimension culturelle sont très importantes. Nous rappelons qu'initialement des peuples d'origine germanique côtoient des peuples d'origine caucasienne en Scandinavie et que les langages et les cultures de ces peuples sont très différentes.
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