Comme des bêtes
Comme des bêtes
Conseillé par Margot :"Ce qui est marquant dans ce roman, c’est sa construction et son parti pris narratif. L’histoire se découvre en creux, à travers les voix de tous les protagonistes, tel un kaléidoscope qui donne à voir une image fragmentée. Il pose la question de la vérité d’un récit."
Compte rendu de la séance de livre échange du 30 janvier 2025
Comme des bêtes - Violaine Bérot
Nous constatons d'abord que ce texte est très bien écrit. Et il traite avec intelligence plusieurs sujets délicats : le harcèlement, le handicap, le viol. Ces sujets ont longtemps été tabous. En plus de ces questions, le sujet principal de l'histoire est la "différence" , la façon dont nous gérons et traitons les personnes "différentes".
La construction du roman est originale. Chaque chapitre présente les réponses d'une personne à un interrogatoire dont les questions ne sont pas précisées. De cette façon, l'institutrice évoque les questions d'éducation du personnage central (qu'on ne voit jamais), le copain d'école parle du harcèlement dont il (le personnage central) a été victime et la pharmacienne parle de la grossesse et du viol de la mère ; celui qui parle le mieux de la façon dont les personnes jugées "différentes" sont traitées est l'orphelin. A chaque interrogatoire un sujet particulier, un angle de présentation particulier. Cela donne une grande force au récit.
C'est un texte bien écrit qui présente des sujets très actuels. C'est un très bon livre qui donne à réfléchir sur notre comportement face à des gens "différents". Nous insistons à plusieurs reprises sur la qualité de l'écriture. Le style change à chaque chapitre afin de coller au personnage qui s'exprime. A la façon d'un puzzle, l'ensemble de l'histoire apparaît progressivement et pourtant, ce qui s'est passé et qui constitue le coeur du sujet n'est jamais révélé. Chaque lecteur.trice doit imaginer, se faire une idée, une image forcément subjective, d'autant que les témoignages qui jalonnent le roman sont divergents. Une lectrice a eu l'impression que le récit était construit comme un entonnoir, mais pour conduire où ?
Finalement, il appartient à chaque lecteur.trice de prendre position sur les diverses questions soulevées durant la lecture : la "différence", le harcèlement, le viol, l'avortement ... C'est peut-être ce qui rend ce texte très court tellement attachant.
Quand on entre dans le détail de chaque chapitre, chacun d'entre nous a sa propre vision du personnage qui s'exprime. Ainsi en est-il de l'institutrice, au premier chapitre. Pour les uns elle est horrible. Pour d'autres elle ne veut qu'apporter de l'éducation à ce garçon qui ne parle pas et qui semble très farouche. Elle est donc pleinement dans son rôle. Certains participants suggèrent que cela souligne peut-être simplement notre organisation sociale inadaptée à l'accueil et l'insertion des personnes "différentes", handicapées.
Des participants soulignent que c'est la mère qui refuse les solutions proposées par l'institutrice. De cette façon, ne l'exclut-elle pas de la société ? Est-ce un bien ou un mal avec cet enfant qui est effrayé par les autres enfants ou adultes qui l'approchent ? Certains pensent que cette mère a un instinct protecteur, un instinct maternel, un instinct de louve. Cette mère est un personnage intéressant. Elle semble être une bonne mère. Elle est plutôt cultivée, n'est pas fruste.
Les échanges nous amènent à parler du handicap. Plusieurs participants racontent leur propre expérience. Il peut s'agir de cette nièce handicapée qui vit toujours avec sa mère, laquelle vieillit et a de plus en plus de mal à assurer la sécurité de sa fille. Il peut s'agir de ce neveu né avec une spina bifida et qu'il a fallu emmener soigner dans un pays voisin parce que les services médicaux français ne pouvaient pas proposer de soins efficaces.
Le handicap est l'expression la plus forte de la différence. Il y a diverses formes de handicaps. Les plus importants peuvent parfois être décelés par des examens prénataux, mais ceux-ci ne repèrent pas obligatoirement tout. Notre service hospitalier est-il adapté pour gérer le handicap ? Quel accueil est fait aux personnes handicapées ? Quelles facilités d'accès ? Et là encore plusieurs exemples de locaux non adaptés sont cités. Parfois, on peut entrer facilement dans les lieux mais après, pour rejoindre un service, ce peut être un parcours à obstacles.
Des participants précisent que les frontaliers vont en Belgique pour le traitement du handicap. La qualité des soins et l'accueil y existent. Mais il faut considérer aussi la question du déracinement et ce peut être difficile à vivre.
Nous nous demandons quel est le rôle, l'apport, des services sociaux pour aider à gérer le handicap ?
Le chapitre consacré à l'audition de la pharmacienne soulève le sujet du viol. Cet enfant handicapé n'est-il pas le résultat d'un viol ? Elle ajoute : "ça aurait pu être moi." Un discussion sur cette question s'engage. La personne violée a-t-elle le courage de le dire ? a-t-elle le courage de se faire avorter ? Le viol crée un traumatisme profond et violent qui déstabilise la personne violée. Il est fait référence aux récentes émissions de télévision sur ce sujet. Les participants se rappellent comment certains violeurs ont été autrefois considérés par la télévision. Nous pensons ici à Madzneff et au livre de Vanessa Springora Le consentement. La discussion dérive ensuite vers les évènements récents et les femmes qui sont violées alors qu'elles sont sous l'emprise de la drogue. De tels actes sont le résultat d'une perversion que l'on du mal à imaginer. Hélas il y a des pervers partout.
Ce même chapitre évoque l'avortement qui peut être une solution en cas de viol. Ce sujet est juste effleuré dans le roman. Nous rappelons l'importance de maintenir la légalité de cet acte devant les menaces qui pèsent sur lui aujourd'hui.
Nous parlons ensuite du personnage central qui est le jeune garçon handicapé. Il y a un paradoxe entre la douceur dont il peut faire preuve et la rugosité de son comportement face aux autres. Etant différent, il est harcelé à l'école. Sa mère qui a une manière bien particulière de l'embrasser est la seule qui puisse le calmer quand il est en crise. Elle l'a emmené dans un fond de vallée très retiré, au pied d'une falaise. Là il va développer son don pour s'approcher des animaux et même les soigner.
Certains se posent la question de la crédibilité d'une falaise percée de cavernes en hauteur. L'action prenant place dans le massif du Jura qui est un massif calcaire, il n'est pas invraisemblable que l'érosion ait laissé des excavations mises à jour lors du soulèvement du massif.
Le personnage est intéressant et même attachant. A-t-il abusé ou non cette petite fille qu'apparemment il a recueillie dans cette caverne haut perchée ? A chacun de se faire sa propre idée.
Une participante indique que l'autrice a, durant sa vie, fait retraite loin du monde, élevant des animaux et accueillant des enfants autistes. Cette expérience trouve un écho dans ce récit.
Pour certains ce personnage fait penser à L'enfant sauvage de François Truffaut, pour d'autres certains aspects du roman évoquent L'enfant cadeau de Kabouna Keita.
Des participants s'interrogent sur l'intérêt des courts poèmes entre chaque chapitre. Ces poèmes semblent raconter une histoire de fées. Mais pour certains d'entre nous, il se sont révélés dérangeants pour la fluidité de la lecture.
Certains participants se demandent ce que ces fées ont à voir avec l'histoire. D'autres considèrent que ces poèmes sont porteurs d'un message qui suit le déroulement de l'action. Une majorité d'entre nous a peu ou pas accroché à ces poèmes.
Ce roman fait penser à un conte. Il emploie d'ailleurs les mécanismes du conte. Les fées ajoutent une dimension surnaturelle, donnent une respiration, ... apportent une réponse ?
Avis et commentaires