Attaquer la terre et le soleil
Attaquer la terre et le soleil
Compte rendu de la séance de livre échange du 11 juillet 2024
Attaquer la terre et le soleil – Mathieu Belezi
Pour cette rencontre de fin de saison nous sommes accueillis par Marie-Thérèse.
La première réflexion que nous avons, suite à la lecture de cette histoire de la colonisation de l’Algérie, est que cette partie de l’histoire de France - à savoir comment on avait envoyé des colons sur ces terres, dans quelles conditions, avec quel encadrement militaire … etc – nous était tout à fait inconnue. Il est très intéressant de connaître l’histoire de notre pays sous une autre facette.
Nous émettons l’hypothèse de l’ouverture d’archives et nous remarquons que le délai de 60 ans pour l’ouverture des archives est maintenant dépassé et que les documents historiques relatifs à la guerre et à l’indépendance de l’Algérie sont maintenant consultables. Peut-être ce livre est-il une conséquence de l’ouverture des archives. Un participant note que le délai pour les archives de généalogie est lui de 100 ans.
Les colons partaient sans savoir où ils allaient vraiment, sans connaître les lieux. Ils étaient séduits par la propagande nationale, et/ou par l’argent que le gouvernement octroyait. Les plus pauvres sont les plus sensibles et aussi les plus fragiles face à cela. Sur place ils vivaient en permanence dans la peur. Les dangers étaient nombreux : maladies, assassinats, misère … A l’époque les médicaments efficaces étaient peu nombreux. On ne connaissait pas encore les sulfamides ni les antibiotiques. Les décès de jeunes enfants étaient nombreux ainsi que ceux des femmes lors de l’accouchement. Nous discutons de la différence entre les époques et de l’importance des découvertes de la fin du 19e siècle/début du 20e siècle. L’auteur parvient à faire ressentir au lecteur à la fois la peur, l’incertitude, et les espoirs de ces gens qui découvrent un univers hostile.
Le roman décrit la situation particulière des femmes dans ce contexte. Elles ne sont pas du tout considérées mais elles travaillent dur. Nous considérons que l’auteur dresse un très beau portrait de femme emportée dans cette tourmente. Nous avons beaucoup aimé le personnage.
Le document décrit des scènes (très) choquantes mais pas surprenantes. Chacun a fait un ou plusieurs rapprochements, parallèles, avec d’autres situations historiques dramatiques. Cela évoque par exemple la vision partiale des militaires en Algérie en 1962. Cela rappelle à l’une d’entre nous, des membres de la famille partis à Malte puis en Algérie. Le génocide arménien est cité aussi. Cela nous apparaît aussi très comparable à la conquête des Amériques par les espagnols. Le Vietnam où nous avons tenté d’imposer notre religion est également cité. Comment ne pas faire également un parallèle avec la situation actuelle à Gaza (telle que les médias la rapportent ) ?
En résumé, toutes les colonisations produisent les mêmes horreurs. Pourtant l’histoire de l’être humain n’est qu’une succession de déplacements de populations à travers tous les continents depuis que l’espèce est apparue il y a quelques centaines de milliers d’année sur le continent africain. Des participantes évoquent à ce titre une conférence de Michel Serres sur ce sujet à laquelle elles ont assisté. S’ensuit une série d’échanges sur Michel Serres, son charisme, son éloquence et sa pédagogie.
Nos échanges portent ensuite sur l’Algérie elle-même. Nous observons que différentes nationalités ont participé à la colonisation : des espagnols, des siciliens, des italiens … tous victimes de la politique nationale. L’État recherche le profit en occupant ce territoire. Cependant les gisements d’uranium ne sont pas encore connus à l’époque. Il s’agit donc d’autres formes de profit. Nous nous demandons comment l’Algérie d’aujourd’hui, avec les ressources minières qui sont les siennes, peine à devenir un pays riche.
Ici, contrairement à d’autres colonisations (Amériques, Arménie ...), il n’y a pas eu génocide toutefois.
Beaucoup d’algériens sont venus s’installer en France. Ils s’intègrent mais sont parfois harcelés voire assassinés. L’histoire douloureuse entre les deux pays, les deux peuples, n’a pas encore permis de faire le deuil sur la colonisation et la décolonisation. Nous rappelons les romans suivants : Marseille 73 de Dominique Mariotti et Impasse Verlaine de Dalie Farah. Nous notons qu’en France on entretient, depuis la guerre, la haine sur l’Algérie. Nous rappelons également que la situation des harkis est différente de celle des autre algériens.
Ce roman est-il une provocation de la part de l’auteur. L’auteur a écrit une série de cinq livres sur l’Algérie. Il est né à Limoges en 1953. Il ne connaît donc pas l’Algérie colonisée ni la période de la guerre au cours de laquelle il était enfant. Il s’inspirerait de lettres écrites par les soldats à leurs parents. Nous nous interrogeons sur le contenu de ces courriers, ce qui y est écrit et surtout ce qui y est tu (censure).
L’écriture est elle-même particulière. Le texte contient peu de ponctuations, peu de phrases, peu de majuscules. Il retranscrit l’oralité, le cheminement de la pensée. Cela rappelle à certains participants le livre de Dimitri Rouchon-Borie Le démon de la colline aux loups, lui aussi écrit presque sans ponctuation.
Un chapitre sur deux est consacré à l’histoire des colons à travers le regard d’une femme. L’autre chapitre relate les actions d’un groupe de militaires français commandé par un capitaine sanguinaire. Le lecteur navigue ainsi d’une histoire à l’autre, d’un drame à l’autre, d’une tuerie à l’autre. En cela le roman est très sombre, très dur, très dérangeant.
Pour certains participants le titre du roman est magnifique.
A l’unanimité nous avons trouvé cette histoire très dure, et même dérangeante tant certains récits sont remplis de violence complètement gratuite : tuer pour le plaisir de tuer. De ce fait on ne peut pas dire que la lecture en est passionnante. En revanche, par la teneur des horreurs qu’il révèle, nous affirmons que ce livre est une révélation. Les références à la religion sont très nombreuses. Nous rappelons un certain nombre de conflits causés par la religion : Irlande, Bosnie, Vietnam … En réalité ils sont très nombreux. C’est le constat que nous sommes amenés à faire. Et pourtant les commandements disent bien : « Tu ne tueras pas » … Nous pensons qu’en réalité la religion est d’abord une question de pouvoir et dans ce cadre elles cherchent toutes en réalité à diviser pour mieux régner.
Le petit livre de Tahar Ben Jelloun Le racisme expliqué à ma fille est évoqué. Il existe une collection de livres « expliqué à ... » qui abordent chacun un sujet de société, de philosophie, d’histoire, de sciences. Ces documents sont extrêmement bien faits, courts, compréhensibles, mesurés. Est mentionné également au cours de la discussion : Leçons d’un siècle de vie de Edgar Morin qui a écrit aussi Changeons de voie. Les leçons du coronavirus.
Les échanges portent ensuite sur les ethnies, les religions, la vie en communauté. Nous constatons que ce sont des minorités, de toutes petites minorités qui attisent les haines et l’intolérance. La majorité des personnes, quelle que soit leur ethnie ou leur religion, n’aspire qu’à vivre en paix. La discussion évolue vers les deux modèles d’accueil des personnes immigrées, l’intégration en France et la vie en communauté en Angleterre. Pour certains Londres est plus cosmopolite que Paris et on rencontre aussi là-bas des personnes irrespectueuses. Les populations hindoues apparaissent très correctes.
Ensuite le propos s’étend aux allocations familiales, aux retraites et à la difficulté, dans certains cas, à suivre l’évolution des personnes qui sont rentrées dans leur pays d’origine, à la polygamie (voir Les impatientes de Djaïli Amadou Amal). Nous mentionnons aussi La petite boutique aux poisons de Sarah Penner ainsi que deux films Indigènes de Rachid Bouchared (2006) et Le dernier des juifs de Noé Debré (2023).
Et nous terminons cette rencontre par un échange sur les élections et par le partage d’un dîner savoureux autant que copieux. Merci à Marie-Thérèse pour son accueil chaleureux et amical.
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