Les yeux de Mona
Les yeux de Mona
Compte rendu de la séance de livre échange du 3 avril 2025
Les yeux de mona - Thomas Schlesser
Ce roman exige une lecture studieuse. Il faut "lire" les oeuvres d'art en même temps qu'on lit le texte. Certains ont observé les tableaux avec une loupe, d'autres les ont agrandis sur l'écran de l'ordinateur. D'autres se sont contenté d'une observation visuelle. Dans tous les cas, ce livre est passionnant, magnifique. Il est d'ailleurs traduit en de nombreuses langues.
Des participants posent la question : est-ce un roman ou un documentaire ? C'est un roman puisqu'il y a une histoire, une fiction qui se déroule tout au long du récit. C'est aussi un documentaire par la façon dont il décrit et explique les tableaux et leur histoire. C'est un roman écrit par un historien. Il présente donc les deux facettes : roman et documentaire historique. C'est un beau livre de vulgarisation de l'art de la Renaissance à nos jours. Livre de diffusion de la connaissance en matière d'arts. Voilà une autre facette de cette oeuvre. Toutefois nous pensons qu'il est un peu ardu pour un public d'enfants. Il nous semble mieux convenir à un public d'adolscents et d'adultes.
Plusieurs participants précisent que c'est aussi un document qui leur a appris à lire un tableau, à analyser sa construction, à regarder une oeuvre d'art autrement que ce qu'ils faisaient avant. C'est donc aussi un livre initiatique. Cette démarche peut être comparée à une analyse de texte. Désormais il n'est plus possible de visiter un musée de la même façon. Des questions nouvelles viennent à l'esprit, un mode d'observation nouveau s'impose.
C'est aussi un peu une histoire magique. Mona une jeune fille très mature et intelligente, son grand-père très cultivé, l'utilisation de l'hypnose ... : tout ces ingrédients dessinent aussi une atmosphère un peu magique à l'histoire.
Cependant, 52 chapitres, tous écrits selon le même plan, cela peut être rasoir. Certains participants n'ont pas pu lire d'une traite ce texte. D'autres ont abandonné en route. Et, en effet, le lire à la façon d'un roman peut être fastidieux, tant la forme est répétitive. D'autant que l'histoire ne compte que pour un tiers de chaque chapitre. La construction est toujours identique. Dans un premier temps, on suit l'histoire de Mona et de sa famille. Puis dans un second temps, on trouve la description d'un tableau (ou parfois d'une sculpture) qui est d'ailleurs matérialisée par des caractères en italique. Et enfin dans un troisième temps, le plus souvent sous la forme d'un monologue du grand-père, on prend connaissance des éléments historiques relatifs à l'oeuvre : l'auteur, sa vie, la place dans l'évolution de l'art, les éléments importants de l'époque ... etc.
Ainsi ce livre présente plusieurs entrées possibles et autant de façons de le lire.
La succession chronologique des oeuvres et des styles qui ponctuent le récit est représentée par des oeuvres qui sont toutes exposées dans trois musées parisiens : le Louvre, Orsay et Beaubourg. On peut donc trouver aussi dans cette lecture une motivation pour se rendre dans ces musées et admirer les oeuvres exposées. Et comme chacun d'entre nous a des préférences pour tel ou tel style, tel ou tel artiste, le lecteur peut aussi sauter les oeuvres ou les artistes qui ne lui plaisent pas.
Quoi que chacun puisse en penser c'est un récit qui apporte quelque chose au lecteur, parfois même quelque chose que ce lecteur ignorait. Plusieurs d'entre nous affirment qu'ils ne verront plus les tableaux avec leur regard d'avant. Ils essaieront d'analyser l'oeuvre avant de porter un jugement de valeur.
Dans le fil de l'histoire, le grand-père a comme objectif d'apporter à Mona une culture artistique au cas où elle deviendrait aveugle (suite à un incident de la vue raconté en tout début du livre). Il espère qu'ainsi elle pourrait continuer à imaginer, visualiser, ce qu'elle ne pourrait plus voir. Et Mona suit ce grand-père. Nous posons la question, cependant, : le personnage de Mona est-il crédible ? Cette jeune fille, tellement intelligente, sensible, curieuse, tellement parfaite, trop parfaite ... Peut-on vraiment rester 30 minutes devant un tableau ? Faut-il obligatoirement analyser le tableau ? Celui-ci ne peut-il pas dégager une émotion qui est suffisante pour l'apprécier de façon globale ? Par ailleurs, le personnage du grand-père, au-delà des ses qualités, nous apparaît rigide, monovalent. C'est son analyse qu'il propose à Mona, et rien d'autre.
Evidemment la discussion dévie sur les tableaux modernes que certains d'entre nous ne comprennent pas. Le noir des tableaux de Soulages. Un tableau entièrement blanc à Saint Etienne, est aussi cité. Des peintres sont cités : Miro, Dali, Picasso, ... Il n'y a pas nécessairement de tableaux de ces grands maîtres en France. Ainsi nous nous posons la question : y a-t-il un ou des tableaux de Salvador Dali dans un musée français ? Réponse après consultation d'Internet : oui il y en a quelques uns au musée d'Art Moderne et à Beaubourg.
S'il est essentiellement dédié à l'art, ce récit aborde également, dans la partie narrative, d'autres sujets. Ainsi, l'euthanasie est discutée en fin d'histoire et l'auteur donne son avis sur la question de cette façon. Tout au long du roman l'amour entre membres d'une même famille et le poids des non-dits sont développés. Ils constituent l'un des moteurs de la narration avec une question latente sur les conditions du décès de la grand-mère dont la réponse est dévoilée à la fin. Le sujet de l'alcoolisme est développé dans la première partie du roman à travers le personnage du père qui sera finalement "sauvé" par son propre génie (transformer des appareils téléphoniques anciens en appareils kitch dotés de technologies modernes). Le portrait de la maman, cette femme qui travaille, vient au secours des autres tout en restant attentive et inquiète pour sa fille, cette mère omniprésente, nous paraît très crédible. C'est un personnage attachant.
L'un des participants précise qu'il a pris des renseignements sur les figurines Vertunni qui émaillent les relations entre Mona et son père. Ces figurines existent bel et bien. Elles sont l'oeuvre d'un figuriniste français d'origine intalienne Gustave Vertunni, et réputées pour leur perfection et leurs détails. Elles sont recherchées par les collectionneurs et donc d'une valeur élevée.
Nous avons aussi une discussion sur l'hypnose. Est-ce que ça existe vraiment ? Oui, l'hypnose existe. Elle est qualifiée d'état de conscience modifié. Les personnes les plus réceptives entrent plus rapidement en état d'hypnose. Celle-ci est utilisée notamment en médecine, en complément des autres méthodes thérapeutiques. Certaines opérations peuvent être pratiquées sous hypnose.
Nous considérons cependant que le roman, dans sa partie narration, reste superficiel. Le lecteur est en attente de davantage de détails sur le père (qui est-il ?) sur la mère (que devient-elle ?) sur la grand-mère (quelle est son histoire ?). Ce roman nous semble construit comme un tableau avec un premier plan, des arrières-plans, une perspective, des petites touches de couleurs différentes,deci-delà.
Une participante présente deux livres sur l'art, qu'elle a découvert dans une brocante. L'un présente les auteurs classiques et romantiques avec les tableaux correspondants. L'autre se déplie en une longue frise peinte que les enfants peuvent compléter pour créer leur monde. Ces livres sont des objets d'art qui parlent d'art.
La discussion revient alors sur la peinture. Mona a l'oeil absolu. Est-ce possible ? Elle a la capacité a discerner les couleurs adjacentes, superposées. Cette qualité du personnage n'est pas donnée au commun des mortels. Nous pensons qu'un tableau n'existe que par celui qui le regarde.
Pourquoi les femmes et jeunes hommes sont-ils le plus souvent nus sur les tableaux ? Des participants suggèrent de rechercher la réponse dans le film Suzanne Valadon, peintre sans concession, diffusé sur Arte. On y apprend que les modèles sont des personnes de grande beauté (selon les standards de l'époque) souvent faciles à dévoyer parce que à court d'argent. Elles acceptent donc plus facilement de poser nues. Et ce sont souvent des femmes parce que les artistes sont le plus souvent des hommes. Les femmes peintres n'arrivent que tardivement (à la fin du 18e siècle pour Mme Vigée-Lebrun) puis sont un peu plus nombreuses au 19e siècle. Il leur faut se battre pour s'imposer. Rosa Bonheur est citée : Rosa Bonheur, l'audacieuse de Natacha Henry.
Pour approcher les sujets artistiques, des participants rappellent la série télé L'art du crime où chaque enquête se déroule autour d'un tableau, d'une oeuvre. Assurément, ce livre va beaucoup circuler. C'est aussi un livre sur la transmission.
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