Les fossoyeurs
Les fossoyeurs
Compte rendu de la séance de livre échange du 9 novembre 2023
Les fossoyeurs - Victor Castanet
« Honte aux décideurs. » tels sont les premiers mots de notre discussion. Les participants ont été scandalisés en découvrant le gaspillage de l’argent public, surtout dans un secteur aussi sensible que la santé. Et que dire de l’inefficacité, voire de l’absence des contrôles que l’administration devrait diligenter pourtant.
D’emblée le ton est donné ; ce document révolte le lecteur. Il dévoile en effet à la fois l’inefficacité de l’administration et l’incurie du monde politique. Bien entendu, chacun avait pu observer lors de la crise causée par le COVID, que les ARS n’étaient pas des administrations extrêmement efficaces, voire même des freins dans certaines situations. Mais les révélations contenues dans le livre ajoutent au malaise que chacun ressent.
Un autre sujet scandalise les participants, il s’agit des « RFA » : les remises de fin d’année, qui font que les produits sont surpayés afin qu’une ristourne soit versée à la société en fin d’année. Cette remise ne figure pas dans les comptes et vient directement abonder les bénéfices de la direction. Si cela existe et est dénoncé dans ce document, nous savons aussi que ce sont des pratiques communes dans la grande distribution. Nous comprenons mieux pourquoi les prix de vente augmentent constamment. La loi des marchés n’existe que pour ceux qui y croient.
Un troisième constat alarme les lectrices. Des sommes faramineuses – on parle de 7000 à 10000 € par mois - ont été déboursées par les résidents et leur famille et malgré cela le prestataire n’a pas fourni l’assistance nécessaire au bien-être et aux soins à donner aux résidents. Le cas le plus emblématique est celui de Mme Françoise Dorin qui est décédée des suites d’un escarre qui n’a pas été bien soigné. Comment ne pas être révolté ?
Concernant les frais d’hébergement payés par les résidents en EHPAD, les participants observent que le matériel et les prestations médicales sont pris en charge par la Sécurité Sociale. Il ne reste donc que l’hébergement à payer. Les coûts communément pratiqués semblent être de l’ordre de 2400 € par mois. On est loin des tarifs mentionnés dans le document. Mais alors quel est le coût réel d’un séjour en EHPAD ? Il serait intéressant de connaître le montant réel des dépenses.
Nous revenons au cas de Mme Françoise Dorin. Il pose une autre question qui est celle des soins prodigués (ou non) aux personnes malades. Comment le personnel soignant a-t-il pu agir avec une telle légèreté dans cet établissement de luxe ? Nous nous posons la question de la qualification exacte des agents qui étaient employés dans cet EHPAD. Le document présente de façon claire les dérives dans la gestion des personnels afin de dépenser moins et donc d’augmenter les bénéfices. Le manque de temps, la pression quotidienne exagérée, et probablement aussi le manque de connaissances et de compétences peuvent expliquer cette situation, ainsi que celle de la mère de ce ministre qui est décédée dans le même établissement faute de soins adaptés. Les personnels sont attachés à leur travail mais pressurisés par la direction et poussés dehors. On peut comprendre les situations de burn out générées par cette gestion inhumaine. Là encore, il manque les contrôles de l’État qui n’auraient pas manqué de constater les carences (pour peu qu’ils soient bien mis en oeuvre). En résumé, ces cas particuliers montrent que certains gestionnaires utilisent l’argent de la Sécurité Sociale, versé pour les salaires des soignants, à d’autres fins et en particulier pour abonder les bénéfices plutôt que soigner les résidents.
Si l’on se réfère au cas de la mère du ministre, on doit aussi s’interroger sur l’action ou le manque d’action des personnalités haut placées. Le terme que nous employons est « magouilles » et il n’est pas inapproprié tant la fin du livre révèle des positions ministérielles peu morales et qui posent question aux lecteurs/citoyens que nous sommes.
Au terme de cette discussion, l’une des participantes précise que le constat est dramatique. Ce document, cette enquête, a-t-il servi à quelque chose ? Aucun contrôle n’a été diligenté. Les responsables de tous ces détournements n’ont pas été inquiétés. Un autre participant pense que c’est lié au fait que donner une suite à cette affaire reviendrait à montrer essentiellement la vacuité et l’inefficacité de l’État, en résumé, à s’autodétruire, ce qui peut expliquer l’inaction de l’État.
Les participants se demandent comment cela a été rendu possible. Le document est relativement précis à ce sujet. L’organisation de l’entreprise ORPEA est conçue pour rentabiliser au maximum. Ainsi seul un très petit nombre de personnes qui sont au siège du groupe en région parisienne dispose du pouvoir de décision. Ces décideurs ne côtoient jamais les résidents, les personnels, les personnes malades ou alitées. A contrario les personnels et même les directeurs d’établissements, c’est-à-dire les personnes qui ont pour travail de soulager et d’accompagner les personnes résidentes, n’ont aucun pouvoir de décision. S’il y a carence en matériel ou en personnel, elles doivent parer au plus pressé … ou ne pas faire. Cette situation peut expliquer les carences observées dans les soins (cas par exemple de Mme Françoise Dorin). Les personnels sont des pions manipulés par les décideurs centraux et les résidents sont gérés comme des « produits ». La notion de vie humaine est absente du concept organisationnel et de la gestion d’ORPEA, bien que les frais d’hébergement facturés soient somptuaires. Une question se pose alors : cette organisation et cette gestion sont-elles les mêmes dans les établissements gérés par d’autres groupes ? Est-ce une situation générale ?
Bien entendu et compte tenu de l’âge moyen des participants, cela nous interpelle énormément. L’une d’entre nous s’exclame ainsi : « Ça ne donne pas envie d’y aller. Heureusement, il existe d’autres formes d’hébergement pour les personnes âgées. ». Une longue énumération/discussion sur les différentes formes d’hébergement suit alors. Les échanges évoquent aussi longuement le sujet des aides à domicile qui sont très appréciées et très efficaces et permettent de rester au domicile mais qui, peu ou prou, viennent troubler l’intimité de la personne aidée ce qui explique la diversité des situations et des problèmes rencontrés.
Finalement nous butons sur la question de l’autonomie. En effet la plupart des hébergements possibles suppose que la personne dispose d’un minimum d’autonomie ce qui souvent n’est pas le cas des résidents dans les EHPAD. Nous nous interrogeons : comment faire face à la perte d’autonomie ? C’est une situation qui guette chacun d’entre nous ; elle est d’autant plus sensible. Après discussion, il nous semble que le choix doit être celui de la personne elle-même et non pas de son entourage ou pire d’un tiers. Il appartient à chacun d’entre nous de tenter de répondre à cette question : que veut-on faire de notre vieillesse ? Nous sommes unanimes à vouloir mourir dans la dignité, ce qui suppose que le droit français actuel évolue et apporte des solutions à cette volonté fondamentale. Le respect de la dignité des personnes nous paraît être la qualité principale d’un bon établissement.
Quelques participants rappellent que les maisons de retraite d’autrefois étaient encore moins accueillantes que les actuelles. Il y a donc eu de l’amélioration. Même si c’est vrai, cela ne nous réconcilie pas avec les pratiques dénoncées dans le livre. Une participante se souvient d’une famille où quatre générations vivaient en bonne harmonie sous le même toit. Malheureusement c’était loin d’être un cas général.
Quelqu’un pose la question des aides qui sont versées aux plus démunis pour qu’ils puissent accéder aux EHPAD. Nous discutons les allocations possibles et constatons que le système est compliqué et même tordu puisque, au décès du résident les héritiers doivent rembourser l’État sur une partie des allocations versées. Ce système difficile à comprendre, impossible à anticiper, est-il vraiment adapté aux situations de détresse ?
La discussion revient alors sur le cas de la génération actuelle qui est vieillissante. La gestion de la vieillesse est une question à laquelle il faut réfléchir dès maintenant. Que souhaite chacun d’entre nous pour le moment où il/elle pourrait devenir moins autonome ? Et si notre santé nous amène à perdre la tête, à délirer, comment gérer cette situation ? Sur ce dernier point, nous sommes unanimement perplexes et sans solution évidente. L’état de démence sénile nous apparaît particulièrement compliqué à appréhender.
Finalement, les excès dénoncés dans le livre sont la conséquence de la gestion privée des établissements. Des établissements nationalisés empêcheraient-ils de tels débordements, de tels mauvais traitements ? Nous posons la question mais aucune réponse évidente ne s’impose.
Un participant raconte alors ce qu’il a vécu avec l’un de ses parents hospitalisé et qui a subi des mauvais traitements. Quand il a tenté de dénoncer cette maltraitance, de faire valoir le droit à la dignité, il s’est heurté d’une part à l’indifférence de la direction de l’établissement, d’autre part à la même indifférence de la part de l’administration, qui y ajoute le labyrinthe paperassier. De quoi décourager même les plus courageux. C’est peu de dire que notre système de santé est vacillant, mal organisé, mal dirigé, mal contrôlé et ceci pour le plus grand bénéfice de ceux qui, disposant de fortunes, prétendent investir dans notre santé. C’est peut-être là le plus grand scandale révélé par ce livre.
En toute fin de rencontre un participant indique aussi combien il a été choqué par l’attitude des lobbyistes qui, pour quelques millions d’euros, facilitent les relations « contractuelles » entre politiques et financiers, et cachent leurs gains à l’étranger. Ces procédés sont abordés vers la fin du livre et ne sont pas les moins choquants, d’autant que les intéressés ont pignon sur rue et sont complètement inconscients des dommages causés aux personnes par leurs agissements.
En résumé, ce livre nous a beaucoup intéressés et interpelés. Il soulève de nombreuses questions sur nous-même et sur notre société, auxquelles il devient urgent de réfléchir.
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