La petite boutique aux poisons
La petite boutique aux poisons
Compte rendu de la séance de livre échange du 30 mai 2024
La petite boutique aux poisons – Sarah Penner
Dans ce roman à trois personnages principaux, c’est d’abord Nella qui retient notre attention. Nella est apothicairesse à Londres à la fin du 18e siècle. Elle soigne les femmes pour leurs problèmes et maladies spécifiques. Elle leurs prépare aussi des poisons pour éliminer « naturellement » les maris trompeurs ou trop méchants. Elle a entrepris cette activité après avoir elle-même été maltraitée par son propre mari qu’elle s’est chargée de faire disparaître. Elle mène donc une sorte de croisade contre les hommes méchants envers les femmes. Notre questionnement concerne la justesse de cette cause. Comment peut-elle savoir que les demandes formulées par ses clientes reposent sur des causes justes ? Comment peut-elle attribuer aussi spontanément sa confiance aux autres, compte tenu des graves risques encourus dans cette activité parfaitement illégale ?
Certes, elle s’est d’abord vengée des affronts subis en éliminant son mari. Elle poursuit cette vengeance en aidant d’autres femmes dans des situations analogues. Mais poursuivre ainsi cette activité résout-il ses problèmes à elle ? Lui permet-il de surmonter la douleur de ce qu’elle a vécu ?
Nous observons que la description des lieux : des ruelles fangeuses, très sombres, des successions de portes, des femmes encapuchonnées, donne à la fois une image de la ville à cette époque et une atmosphère lourde et secrète qui soutient ainsi le récit. Cette évocation des lieux nous amène à rappeler la maison de l’apothicaire à Montferrand, avec ses superbes piliers sculptés. S’ensuit une discussion sur Montferrand et l’intérêt majeur de visiter ce quartier assez peu connu et pourtant riche de lieux et d’histoire.
Des lectrices rappellent que les plantes peuvent être dangereuses. Sont citées : la digitale, le marron d’Inde … On pense aussi à la cigüe, au datura …. Nella est experte dans la connaissance des plantes et des effets des extraits de plantes sur l’individu. Ces extraits, bien choisis, bien préparés, bien administrés, peuvent guérir … ou peuvent tuer. Ces connaissances de l’époque du roi Georges III, sont à la base du développement et de l’évolution de la pharmacopée. Cette évocation des plantes, de leurs effets sur nous, a rappelé un autre roman : La petite herboristerie de Montmartre de Donatella Rizzati.
La discussion porte ensuite sur la condition des femmes à la fin du 18e siècle. Nous observons que celles-ci, ne disposant d’aucun pouvoir dans la société, n’ont d’autre choix que de s’entraider dans l’ombre, malgré les risques, afin de tenter de gérer au mieux les problèmes auxquels elles sont confrontées, et qui sont la plupart du temps ignorés ou dénigrés, minimisés, par les hommes. La fidélité, l’un des sujets du roman, est obligée pour les femmes alors que les hommes peuvent ne pas la respecter si bon leur semble. Ces abus obligent les femmes, d’une certaine façon, à s’organiser et à se soutenir entre elles. C’est l’un des thèmes du récit dans lequel Sarah Penner décrit à la fois les tourments auxquels sont soumises les femmes et les moyens dont elles usent pour se venger de cette situation. Elle conclut, cependant, à la fin de son texte, que la vengeance n’est pas une fin en soi et qu’elle n’apporte pas à Nella le repos, la délivrance qu’elle escomptait.
Les participantes s’accordent sur le fait que l’éducation des filles et des femmes est l’une des solutions pour les délivrer de la soumission au mari. L’une des participantes rappelle une expérience vécue au Maroc où une jeune fille lui était présentée comme se trouvant en « dressage », terme très choquant. Les cours de travaux ménagers dans les écoles des années 1950 sont également mentionnés en ce qu’ils donnait une orientation forte sur la situation des femmes de l’époque.
L’émission Rendez-vous en terre inconnue, en Guinée, diffusée cette semaine (semaine du 27 au 31 mai 2024) apporte des témoignages sur ce propos. Une participante ajoute que l’éducation des jeunes garçons est aussi en cause et qu’il serait pertinent de leur apprendre le respect des jeunes filles et des femmes. La discussion s’étend alors sur l’école en général. Il est rappelé que pendant que les jeunes filles apprenaient les travaux ménagers, les jeunes garçons avaient cours d’atelier. Si les blouses qui étaient imposées (roses pour les filles et bleues pour les garçons) permettaient de limiter les humiliations liées aux différences de moyens financiers et de statut social entre les élèves, nous rappelons que les filles avaient interdiction de porter un pantalon – interdiction qui perdure dans des textes réglementaires datant de la fin du 19e siècle et qui n’ont pas été abrogés à ce jour. Une participante mentionne l’autobiographie de G. Sand Histoire de ma vie dans laquelle elle décrit l’école où l’on apprenait à bien se tenir …
Nous rappelons les grandes étapes de la libéralisation du statut des femmes. La mixité à l’école qui est apparue à la fin des années 60, le droit de vote dès 1945 puis la liberté d’ouvrir un compte bancaire en nom propre en 1961 et de détenir un chéquier en 1965. Des femmes jouaient malgré tout des rôles prépondérant dans la société, telles Marie Curie par exemple. A ce sujet le document Jamais sans elles de Patrice Duhamel et Jacques Santamaria est cité, ainsi que le film récent Bernadette et le document Les égéries de la République de Marie-Thérèse Guichard.
Une participante émet l’hypothèse que l’accès à Internet puisse participer à une évolution de la condition des femmes. S’ensuit une discussion intense qui met en avant la facilité d’accès à d’innombrables informations parmi lesquelles on trouve de nombreux mensonges, de nombreuses désinformations, ce qui implique de savoir démêler le vrai du faux, de croiser les informations d’origines diverses et donc de disposer d’un minimum d’éducation préalable. Internet et les réseaux sociaux sont des objets de pouvoir qui excitent la convoitise (Les enfants sont rois de Delphine de Vigan – livre échange du 6 juillet 2023 – est rappelé). Les échanges concernent ensuite la situation politique actuelle et ses enjeux de pouvoir, pouvoirs avérés et pouvoirs cachés qui empoisonnent la vie politique hexagonale. Pour la plupart des participants, les informations les plus importantes sont cachées au grand public. Les élections européennes à venir sont discutées, notamment la débauche de candidatures (38 listes) avec la question sous-jacente : à qui cette multiplicité de listes profite-t-elle ? Collectivement, et à mi-voix, nous admettons tous craindre l’imminence d’une nouvelle guerre, situation ô combien angoissante.
Elisa est le second personnage principal de l’histoire. C’est une jeune fille de 12 ans qui est très mûre pour son âge et nous précisons qu’à l’époque les enfants devaient devenir adultes beaucoup plus tôt qu’aujourd’hui. Ainsi est-elle placée chez un riche bourgeois aux fins de gagner un salaire et de soulager le reste de la famille (une bouche de moins à nourrir). Cette forme d’indifférence à l’égard des enfants ne nous paraît pas surprenante pour l’époque considérée.
Le personnage d’Elisa est complexe, doté d’une réflexion très mature. Cela offre la possibilité à l’autrice de dresser une peinture de la condition des gens de maison à la fin du 18e siècle. C’est un personnage très débrouillard, condition importante pour résister dans une société où la survie des plus pauvres est une activité à plein temps. Des lectrices ont beaucoup aimé le personnage. La description de l’arrivée des premières règles est à la fois très intéressante et très humaine. Elle ne comprend pas ce qui lui arrive, ce qui met en évidence l’importance de l’éducation. Des participantes rappellent que les règles ont toujours été considérées comme une impureté, comme de la sorcellerie, comme une faute personnelle de la femme. Les religions, en particulier, ont abondamment vulgarisé ces mensonges. Elisa est un personnage complexe et attachant.
La fin du roman, quand elle se jette dans la rivière, tient de la magie.
Le troisième personnage, Caroline, jeune femme américaine actuelle qui va découvrir l’histoire de Nella et Elisa, nous semble être le personnage le moins crédible du roman. Elle n’a pas été au bout de son rêve. Elle voulait être historienne et mener des recherches à Londres. Une désillusion amoureuse (son mari la trompe – parallélisme avec l’histoire de Nella) va lui donner l’opportunité de changer de vie et de retrouver l’enthousiasme et l’épanouissement. Ainsi, l’autrice met en évidence un thème actuel : aller au bout de ses rêves. C’est d’ailleurs l’une des conclusions du roman : il est important de tenter d’aller au bout de ses rêves d’enfant.
Malgré tout ce personnage ne nous semble pas complètement crédible. Ainsi par exemple trouve-t-elle fort opportunément une fiole qui va lui permettre de remonter le temps et tout aussi opportunément, rencontre-t-elle du premier coup, une bibliothécaire capable de l’aider et de l’aiguiller dans ses recherches. Dans son histoire les coïncidences heureuses sont nombreuses, ce qui limite la crédibilité du récit.
Il y a aussi un parallélisme entre l’histoire personnelle de Caroline - l’épouse trompée par son mari - et les évènements pour lesquels des femmes venaient demander de l’aide à Nella. Si le récit ne propose que l’empoisonnement comme solution au 18e siècle, il décrit, en revanche, avec une certaine ironie, les inventions et les efforts du mari de Caroline pour tenter de la reconquérir, allant même jusqu’à un simulacre de suicide. Plusieurs lectrices ont trouvé l’épisode du chantage exercé par le mari abandonné très drôle, une satire critique des hommes.
Dans le même temps, Caroline se détache aussi de ses parents qui ont eu une emprise importante sur ses choix de vie et ne sont pas étrangers à son abandon de ses rêves d’enfant. Cette partie de l’histoire reste moins développée. Nous considérons néanmoins que ce personnage est moins intéressant que Nella et Elisa, en partie parce qu’il manque de complexité, en partie parce que les évènements auxquels il est lié sont souvent assez peu crédibles. Seul le lien qui s’établit au fil du récit entre Caroline et Nella apporte un peu de souffle à l’histoire. Deux destins similaires, deux solutions très différentes, mais on ne sait pas finalement laquelle est la meilleure. L’autrice ne dégage que deux tendances : d’une part la vengeance n’est pas une solution idéale, en particulier parce qu’elle n’atténue pas la douleur ; d’autre part, aller au bout de ses rêves peut être une solution mais n’atténue pas davantage la douleur. Caroline, qui est le personnage pouvant faire la synthèse entre ces deux ébauches de solutions, reste trop superficiellement dépeinte pour que le lecteur puisse dégager des conclusions. Ce personnage n’a pas plu à tous les lecteurs.
Nous terminons notre rencontre en discutant de l’écriture du roman. C’est un récit dans lequel trois histoires sont imbriquées. On passe de chapitre en chapitre, de l’une à l’autre. Et nous observons que le style employé est adapté à chaque histoire, à chaque moment, à chaque atmosphère. Ceci rappelle à un lecteur Yanvalou pour Charlie, le roman de Lyonel Trouillot qui comprend quatre partie, chacune d’un style différent adapté au thème développé. Ce texte se lit aisément.
Malgré tout, nous notons que l’intrigue utilise des rebondissements parfois peu crédibles, comme par exemple les coïncidences récurrentes dans l’histoire de Caroline, ou encore la facilité avec laquelle elle « découvre » ce qui subsiste de la rue du 18e siècle et de l’échoppe de Nella. Il est plus difficile d’accrocher au récit dans ces conditions.
Enfin, la magie qui concourt à l’aboutissement du roman, ressort clairement d’un autre domaine qui n’a pas été abordé dans le corps du récit. Cela donne un sentiment de fin bâclée, même si par ailleurs, cette touche surnaturelle donne une certaine poésie à l’épilogue.
Malgré son ambiance sombre nous avons globalement aimé cette lecture qu’une lectrice a même lu deux fois. Le roman a été publié en 2021 et nous nous posons la question de l’âge de l’auteur, sans trouver de réponse.
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