Quartier lointain
Compte rendu de la séance de livre échange du 7 septembre 2023
Quartier lointain – Jiro Taniguchi
De l’avis unanime ce manga est de très grande qualité. Il a beaucoup intéressé les lecteurs et lectrices, certains l’ayant même lu plusieurs fois. L’histoire est fascinante et le dessin vient soutenir, renforcer le récit et créer une atmosphère, un climat qui permet au lecteur de situer le récit dans l’espace et dans le temps, et aussi dans les relations entre les personnages.
Au cours de nos échanges la qualité du dessin est plusieurs fois soulignée. Si le graphisme est simple, voire épuré, l’agencement des images d’une planche est minutieusement conçu, de telle sorte que le lecteur lit le texte tout en intégrant le lieu, l’atmosphère, les relations grâce aux dessins. Cet ensemble de très grande qualité fait de ce manga une oeuvre littéraire à part entière. Nous avons relevé plus particulièrement les dessins suivants pour leur beauté : la petite fille, la plage, le train, le regard d’Hiroshi.
Le talent de Jiro Taniguchi s’exprime pleinement. Guillaume, spécialiste en manga, indique que l’album La forêt millénaire, du même auteur, est celui contenant les plus beaux dessins. Il nous précise également la biographie de Jiro Taniguchi. C’est un auteur de mangas (mangaka) un peu à part. Il débute comme apprenti auprès d’un mangaka puis développe sa propre création. Généralement les mangas sont produits et publiés sous forme d’épisodes dans des revues. La cadence d’écriture de ces mangas est infernale et la vie de mangaka n’a rien d’enviable. S’affranchissant de quelques principes, Taniguchi développe une oeuvre artistique et littéraire alliant fantastique et réalisme, assez éloignée de l’univers traditionnel des mangas. S’agissant de Quartier lointain, c’est clairement une oeuvre littéraire, un conte philosophique qui s’adresse aux adultes et adolescents.
L’histoire en elle-même décrit la vie au Japon durant l’après-guerre alors que le héros est revenu à l’époque de son adolescence. Cela génère de longs échanges sur l’organisation de la vie quotidienne dans ce pays, le cadre rigide des conventions sociales et des comportements. La société japonaise apparaît très différente des sociétés européennes. Les relations sociales sont très codifiées. La pression sociale est très forte. Le respect des ancêtres est important et revêt une dimension religieuse (shintoïsme).
Le côté fantastique du récit est assuré par le retour dans le passé. Le héros revit la période de son enfance, juste avant le départ de son père. Un participant précise que d’autres romans récents (Récursion de Blake Crounch, La vie augmentée de Léna de Laetitia Droniou) utilisent le fil conducteur du retour dans le passé. Guillaume et Margot indiquent que l’utilisation de ce fantasme est fréquente en littérature. Ainsi plusieurs séquences de l’histoire sont consacrées au retour dans le passé. Invariablement le héros a envie d’influencer le cours des évènements en fonction de sa connaissance des développements à venir. Et invariablement l’auteur fait conclure à son héros l’impossibilité de modifier le cours du temps puisque cela reviendrait, non pas à modifier une histoire connue mais à en écrire une nouvelle différente de la première. A la fin du manga, il insère un clin d’oeil à ce sujet quand le héros reçoit en cadeau de la part de son ami un livre qui raconte l’histoire qu’il vient de vivre.
Les participants ont observé également que divers thèmes importants étaient abordés au fur et à mesure du récit. On peut citer la famille, l’école, les enfants, la fin de vie, la guerre … Ces questions sont toujours présentées avec une grande humanité, beaucoup de tact et de délicatesse.
A propos du mode de vie au japon, ce manga donne l’impression que les transports en commun sont très développés et très utilisés, ce qui est vrai notamment dans les mégalopoles. On le comprend aussi en lisant Ito Ogawa ou Haruki Murakami. L’oeuvre Les rêveries d’un gourmet solitaire, de Taniguchi, donne à voir la vie dans ces mégalopoles.
La consommation d’alcool est très présente tout au long du récit. Cela pose la question de l’attitude des japonais face à cela. Il semblerait que cela soit d’une part lié à une période du développement économique du pays où il fallait beaucoup travailler et les gens se détendaient ensuite en buvant ensemble dans les bars, et d’autre part à une forme de réponse à la pression sociale, un exutoire en quelque sorte. Nous rappelons que cela a existé en France pendant longtemps et que cela existe encore.
La fin du récit qui raconte le départ du père fait l’objet d’une longue discussion. Nous considérons que cette attitude est difficile à comprendre car il y a abandon de la famille et le manga met bien en évidence l’abnégation et le dévouement de la mère et les innombrables difficultés qu’elle rencontre. Ce départ est choquant. Il faut reconnaître également que ce père cherche simplement à vivre sa vie et à quitter une vie qui lui a été imposée par les évènements et la société, ce qui peut se comprendre. D’ailleurs il ne quitte le foyer que quand les enfants sont suffisamment grands. L’auteur décrit ces faits avec beaucoup de délicatesse et sans porter jamais aucun jugement. Guillaume nous précise qu’il y a effectivement beaucoup de disparitions au Japon chaque année (45000 environ contre 15000 environ en France).
C’est la première fois que nous lisons un manga (et plus globalement une bande dessinée) et nous en sommes enchantés. C’est une très belle découverte.
Avis et commentaires