Les enfants sont rois
Les enfants sont rois
Compte rendu de la séance de livre échange du 6 juillet 2023
Les enfants sont rois – Delphine de Vigan
Le début du roman, où l’autrice met en place les personnages, laisse quelques lectrices dubitatives. Puis à partir de la disparition de l’enfant et du début de la recherche et de l’enquête, le lecteur se prend au jeu et ne lâche plus le récit. Ce qui frappe à ce moment de l’histoire c’est aussi la détresse du frère qui se croit responsable de cette disparition. Delphine de Vigan en mettant ainsi en évidence les états d’âme de chaque personnage entraîne ses lecteurs dans l’univers des réseaux sociaux et des influenceurs.
A l’unanimité nous déplorons l’attitude de la mère des deux enfants, qui, à aucun moment, ne remet en question son activité d’influenceuse, alors même que c’est cela qui est la cause des troubles de ses enfants. L’attitude de cette maman nous interpelle et la discussion est nourrie. Elle utilise ses enfants pour réaliser des vidéos qu’elle poste sur les réseaux sociaux. Les personnes qui regardent ces petits films les « like » et de fil en aiguille il se constitue un groupe important de personnes qui « suivent » les publications de cette maman. Les publicités qui sont insérées lors de la diffusion des vidéos la rétribuent en partie. Ensuite les marques lui proposent de faire l’apologie de tel ou tel article dans ses films et la rémunèrent pour cela. Une addiction naît chez cette femme qui assouvit ainsi son désir d’être, d’être reconnue, aimée. Une autre addiction plus pécuniaire l’accompagne. Il faut remonter dans l’enfance et la jeunesse de cette mère pour découvrir ce qui l’a conduite jusque là. Elle a manqué d’amour et de reconnaissance de la part de ses parents et a été bercée par les émissions de télé-réalité. Elle n’a eu de cesse ensuite de reproduire cette fausse réalité enseignée sans vergogne par la télévision. Ce n’est pas la première fois qu’un roman met ainsi en scène l’importance du vécu de la petite enfance dans le comportement futur de l’adulte. On pourrait citer Le consentement (Vanessa Springora) par exemple.
Nous constatons aussi que si la mère est addict aux réseaux sociaux afin d’y mettre en scène sa propre famille, de l’autre côté de l’écran un très nombreux public est aussi addict à regarder ces films, à s’identifier à ces personnes qui se mettent en scène. On retrouve dans cette addiction le besoin d’identité, d’appartenance à un groupe. Cela s’appelle les moutons de Panurge si l’on se fie à nos souvenirs scolaires.
Ce constat entraîne la discussion sur les évènements récents (mort de Nahel et émeutes dans de nombreuses villes) car là aussi les réseaux sociaux ont joué un rôle important de rassemblement de groupes qui se reconnaissent dans une idée, dans un but, dans une colère. A ce sujet la violence des groupes est évoquée. Elle rappelle un passage dans Petit pays de Gaël Faye où le groupe amène un jeune garçon plutôt calme et pacifique à devenir un assassin. Nos échanges sont longs sur ce sujet et nous ne sommes pas toujours en accord les uns avec les autres, en particulier sur le fait déclencheur des émeutes (mort de Nahel). Nous mettons aussi en évidence le fait que dans l’État de droit, il semble y avoir des droits différents suivant les territoires sur lesquels on se trouve (zones de deal de drogue en particulier, autres territoires mafieux aussi … etc.).
Les réseaux sociaux ont pris une importance considérable ces dernières années ce qui est une source de grande inquiétude car, s’ils peuvent être très utiles quand utilisés avec modération et pondération, l’expérience montre que sans freins et sans limites, ils peuvent s’avérer particulièrement dangereux et destructeurs. Et de nous interroger sur leur rôle dans la disparition des valeurs humaines fondamentales. Un projet de loi prévoirait d’encadrer les pratiques des influenceurs mais sera-t-il suffisant ? Respecté ? Nous posons aussi la question de ceux qui regardent et qui « like » car ils ont aussi une responsabilité dans le développement et les abus des réseaux sociaux. Cela nous ramène à la discussion sur les évènements récents et l’implication des dealers. Il faudrait aussi s’interroger sur le rôle et la responsabilité de ceux qui achètent et utilisent les drogues dans le développement de ces zones de « non droit ».
Les échanges reviennent sur les enfants qui, ainsi utilisés à des fins de publicité, sont spoliés de leur enfance. Certes, comme l’affirme la mère, ils ont tout, autrement dit tous les bien matériels possibles et imaginables. Mais il leur manque l’essentiel c’est-à-dire le temps, le temps pour jouer, le temps pour expérimenter, le temps pour découvrir, … etc. Il leur manque aussi l’amour sous d’autres formes que les biens matériels, que l’on s’intéresse à eux par exemple, que l’on réponde à leurs questions … etc. Une participante pose alors la question suivante : et nous, avons-nous bien élevé nos enfants alors que nous travaillions beaucoup et n’étions finalement pas souvent disponibles ? La discussion s’amplifie et les expériences diverses sont racontées. Il en ressort que finalement les bases fondamentales de l’éducation et de l’amour ont bien été données malgré le travail et les activités. Cela confirme que pourvoir au bien-être matériel des enfants est notoirement insuffisant à les rendre heureux et épanouis. De plus ces parents (ceux du roman) commettent un abus de pouvoir et d’autorité envers leurs enfants. Ils les spolient aussi de leur droit d’image. Nous sommes tous d’accord pour affirmer que l’usage des réseaux sociaux doit être limité pour les enfants, d’autant plus s’ils sont très jeunes.
Une lectrice observe que le titre est intéressant car il dit l’inverse de ce qui est raconté dans l’histoire. Ces enfants ne sont pas rois ; ils sont soumis à leurs parents influenceurs et cela les déséquilibre psychiquement. Pourquoi l’autrice a-t-elle donné un tel titre ? Est-ce une forme de dérision ?
Ce livre nous a tous intéressés. L’approche du sujet au travers d’une enquête est attractive et le sujet traité, qui est grave, s’en trouve en partie allégé et plus facile d’accès. En conclusion personne ne crie « Vive les réseaux sociaux » mais nous nous retrouvons pour un moment de convivialité.
Avis et commentaires