La ménagerie de papier
La ménagerie de papier
Compte rendu de la séance de livre échange du 11 septembre 2025
La ménagerie de papier - Ken Liu
Ce livre est un recueil de nouvelles. Les participants observent qu'il est plus facile à lire qu'un
roman. Ainsi quand une nouvelle plaît moins, on peut passer à la suivante et ainsi de suite. Plusieurs lecteurs et lectrices ont procédé ainsi et même certains n'ont lu que la nouvelle titre "La ménagerie de papier".
En ce qui concerne cette dernière histoire, tous ceux qui l'ont lu l'ont appréciée. Cette maman
expatriée dans le pays de son époux et qui dit tout son amour pour son fils au travers d'origamis figurines animales met en évidence à la fois la problématique de la double culture, qui est celle de tous les expatriés, et celle de la solitude. La description des relations entre la mère et le fils est somptueuse. Et la fin est terriblement émouvante. Ce texte est essentiellement tourné vers les relations filiales.
Un participant indiquant que c'est le seul qui traite de ce sujet, nous constatons qu'en réalité la relation filiale qu'elle soit entre un père et son enfant ou entre une mère et son enfant est au coeur d'une majorité des nouvelles du recueil. C'est une sorte de filigrane de (presque) l'ensemble des histoires.
Le premier récit du livre, intitulé "Renaissance", est apparu difficile à appréhender par tous les lecteurs. C'est un peu dommage parce que s'agissant de la première nouvelle, elle peut décourager lelecteur et ne pas l'inciter à poursuivre la découverte des autres textes.
Plusieurs récits ont pour sujet l'écriture ou les écritures, et les différences culturelles. "Nova verba" en est un exemple frappant même si cette nouvelle est assez difficile d'accès. Il s'agit d'un texte danslequel l'auteur joue avec les mots. Dans un monde plat, il y aurait moins de capacités d'expression ? C'est la thèse de départ.
"Le livre chez diverses espèces" met en scène différentes façons d'envisager l'écriture et donc le moyen de communiquer entre individus, proposant l'idée que notre forme de langage écrit n'est pas unique ni meilleure que d'autres formes, le tout étant de se comprendre.
Enfin "La forme de la pensée" est aussi une réflexion sur la communication entre peuples de
cultures très différentes et l'auteur en tire une conclusion pessimiste puisque les deux peuples ne pouvant se comprendre et ne voulant pas essayer davantage finissent par s'entretuer, ce qu'hélas l'histoire du monde nous raconte et nous montre abondamment.
Citation : "Tout acte de communication est un miracle de traduction". On peut également se référer au texte court de Bernard Werber (compte rendu de la rencontre autour du livre d'Edgar Morin).
Une oeuvre de science-fiction en rapport avec ce thème est citée : Tout smouales étaient les Borogoves de Lewis Padgett.
Un autre thème central de plusieurs nouvelles est l'intelligence artificielle avec ses excès et ses dangers. "Emily vous répond", par exemple, montre une société dans laquelle un ordinateur répond aux demandes et aux messages des individus. On y ressent au travers de cette description l'immensesolitude de l'individu.
Cet isolement est aussi le fondement de "Fais pour être ensemble", nouvelle dans laquelle la vie de chaque individu est gérée par des programmes informatiques. Il y a là une image glaçante d'une société dans laquelle l'humain avec sa part d'humanité (voir le livre d'Edgar Morin Leçons d'un siècle de vie) est exclu. Une participante fait un rapprochement avec Fahrenheit 451 de Ray Bradbury. Ce texte hélas nous paraît terriblement actuel. Nous avons ensuite une discussion sur l'intelligence artificielle, ses mérites, ses incertitudes et les peurs qu'elle engendre. L'intelligence artificielle n'est qu'un outil (un de plus) :comment allons-nous l'utiliser ?
Une autre conclusion s'impose à nous : c'est l'actualité de ce document pourtant écrit il y a une dizaine d'années. Ken Liu nous remet au coeur de l'actualité, des problèmes actuels de nos organisations sociales. La discussion qui s'instaure sur ces sujets actuels nous ramène à "La forme de la pensée" et sa fin tragique. Nous notons que, dans cette histoire, la femme voudrait poursuivre les efforts de compréhension et de rapprochement quand ce sont les hommes qui déclenchent le conflit. Il y a, à ce sujet, une différence de comportement entre hommes et femmes que l'on retrouvetrès souvent dans l'histoire et dans la vie courante. L'homme serait-il par nature belliqueux ? Nous rappelons aussi la différence de traitement entre les hommes et les femmes dans la société, dans les sociétés humaines, les femmes ayant été pendant très longtemps laissées pour compte. Cette binarité a tendance à s'effacer aujourd'hui. Les femmes seront-elles demain aussi belliqueuses que les hommes ?
Ce recueil compte, essentiellement vers la fin, plusieurs textes dont le thème central est la
résurrection et donc une forme de vie éternelle : "La forme de la pensée", "Les vagues". On devine dans ces histoires un questionnement sur le sens de la vie. D'ailleurs l'être humain est au centre de l'ensemble des récits.
Certains récits ne semblent pas avoir de lien avec les autres, ils n'en sont pas moins intéressants.
Ainsi en est-il de "La plaideuse" qui raconte une enquête en Chine. Nous observons que le fait que l'avocate soit une femme est très intéressant parce que rare et parce que remettant d'une certaine façon la femme dans la société.
"L'erreur d'un seul bit" est un conte sur l'informatique et ses limites. Il part de l'hypothèse qu'une erreur minimale (changement d'un seul bit) pourrait avoir des conséquences dramatiques. N'en est-il pas ainsi dans la vie quand un écart minimal dans l'ADN amène à des modifications importantes chez l'individu ?
"L'oracle" est un récit glaçant mais à l'issue heureuse, dans lequel il est possible de détecter très tôt chez les individus les prédispositions à devenir criminel. Dès lors la société s'organise pour mettre à l'écart ces personnes, les condamnant à l'exclusion. Est-il possible de se corriger, de s'améliorer, de dépasser ses propres penchants ? En niant cette possibilité, la nouvelle pose le problème et également celui de l'acceptation sociale. Faut-il être dans la norme imposée par le plus grand nombre pour être accepté, ou sinon rejeté ? Peut-on modifier le destin ? Cette nouvelle rappelle Minority report de Philip K Dick adapté au cinéma par Steven Spielberg sous le même titre.
Nous constatons que ces nouvelles semblent assez disparates à la fois dans leur contenu et dans leurs thèmes. En fait les nouvelles ont été choisies non par l'auteur mais par l'éditeur afin d'en faire un livre. Ceci peut expliquer l'absence apparente de lien entre les récits.
Sur la forme nous avons une discussion sur le vocabulaire et la toponymie qui sont parfois un peu absconses.
S'ensuit une très intéressante discussion sur la traduction, le texte original étant en anglais. Une participante, traductrice elle-même, nous explique les conditions d'une bonne traduction, les problèmes et les limites.
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